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NotyBook

27 septembre 2017

dernier épisode

PARMI D'AUTRES

chapitre V

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Une nuée d'oiseaux affolés remplissent d'un coup le ciel somnolent. Des claquements d'ailes et des piaillements assourdissants. Je ne suis pas sûre de ce que j'entends. Je ne vois rien. Mes paupières peinent à s'ouvrir. Mes sens confinés dans un demi sommeil s'ajustent mollement. Les sons s'entrechoquent et se distordent. Crépitements. Grésillements. Ronronnement. Cliquetis. L'ouïe s'affine et dans mon esprit, la brume se disperse, le réel s'éveille et les choses se précisent. Des touches qui s'enfoncent. Des doigts qui pianotent nerveusement sur un clavier.

Une lumière intense et saccadée m'éblouit un instant. Je lève la tête. Tous les écrans et les ordinateurs s'étaient mis en marche. La pièce plongée durant des heures dans la pénombre, est sortie de son inertie. Elle n'est plus ce coffret au ventre moelleux qui renfermait les confidences d'un inconnu. La lumière projetée par les écrans ricoche à travers la pièce et comme des miroirs qui se renvoient à l'infini leurs reflets, elle semble modifier la profondeur et les dimensions de la salle, modifiant de ce fait ma propre perception.

Des morceaux de phrases, des pans d'un récit éparpillés comme des feuilles griffonnés, jetées au sol. Je ne distingue plus le début ni la fin. Je ne sais plus à quel moment de son histoire je me suis endormie. Le Crocheteur de Serrures a quitté les lieux. Les machines qui travaillent bruyamment déversent sur les écrans des diagrammes animés, des tranches de calculs et des défilements de chiffres, des mots sans définition, et puis du noir qui palpite dans un grésillement laborieux. A-t-il déclenché quelque chose ?

Je dois quitter cette pièce qui semble prendre vie, qui semble tout avaler comme un trou noir, qui semble déterminée à contrôler... Mon esprit ? Mes décisions ? Je rassemble mes affaires. Arrache au passage le trousseau de clefs qu'il a abandonné sur la table. M'a-t-il enfermée dans sa folie ? M'a-t-il à mon insu intégrée dans ses programmes ? Réfléchis ! Il a laissé les clefs. Il a donc laissé les portes ouvertes derrière lui. A-t-il mis son plan à exécution ? Quel plan ? Tout est confus. Est-ce que je fais partie de son plan ?

Je dévale les escaliers comme fuyant un incendie qui se serait propagé dans tout le bâtiment. Les armatures métalliques, la charpente qui tenaient le monde sous serre, sous son contrôle. Tout va s'effondrer. L'écho de mes pas se répercutent dans chaque poutrelle de l'entrepôt totalement vide, totalement mort. C'est un bruit froid, un bruit de fer qui raye l'air et finit par se coucher au sol en traînées de limailles. Enfin la porte. Celle qui mène au dehors. Ma main tremble. Elle semble ne pas vouloir me laisser sortir alors qu'un inconnu malveillant me poursuit et en veut à ma vie. Mes geste sont comme hystériques. J'hésite. Qu'a-t-il fait au monde ? Qu'a-t-il fait de moi ?

La porte s'entrouvre. Je ne sais quel jour m'attend dehors, mais je me dis à cet instant très fort en moi, qu'elle s'effondre cette réalité devant moi et je pourrais enfin croire en son histoire.

Un jour, il y a fort longtemps, j'ai rêvé.

Le monde pouvait alors bien se tenir. Je n'avais pas froid aux yeux. Courais dans tous les sens et criais sans attendre de réponse. Je riais sur des kilomètres, m'installais sur une colline et profitais de la distance. Je passais des journée entières à collecter les reflets du monde, ses faces cachées, ses détails abandonnés, la fugacité des instants dans lesquels aiment se concentrer les émotions. Des pans de murs que l'histoire du monde a éventrés, des clochettes de lumières qui tintent dans la grande pénombre de l'ennui. Des sourires, des sourires qui s'embrassent avec hardiesse.

Les ans ont défilé fièrement au début. J'avais dû trop rêver. Le destin semble-t-il épuisa sa dernière vie. Je cours encore sans cesse, cette fois pour me soumettre aux aboiements de la survie.

Les mois, je les vis comme des jours. Je sais que le lendemain finira les restes des jours précédents. À mi-chemin du mois, il y a des jours en trop, des jours qui réclament, des jours qui devraient aller voir ailleurs. Mon avenir commence à mi-chemin du mois. Je sais qu'il me laissera là. Sans envies, sans désirs, ni promesse. Je sais que l'avenir c'est ces jours en trop. Mais ces jours en trop je ne sais pas où les mettre.

À mi-chemin du mois je regarde le ciel, les oiseaux, je regarde la mer et écoute le vent dans les arbres. Je gagne du temps pour les jours payants, ces jours gourmands, avides, insatiables qui me tiennent en laisse. J'arrive à rendre les jours moins chers. Ce sont des jours qui me laissent sur ma faim. Des jours qui passent inaperçus, qui se font discrets, qui n'en mettent pas plein la vue. Des jours maigres. Des jours sans rires plutôt grimaçants, sans rencontres, des jours exclus, des jours pas tendres. Des jours perdus, des jours où je ne crie plus. Faudrait pas qu'on m'entende ! Des jours sans partage. Des jours où je retiens ma respiration jusqu'au lendemain. Des jours où l'on demande parfois où j'étais passée. Des jours pour personne.

Un jour, il y a fort longtemps, j'ai rêvé. Le monde pouvait alors bien se tenir. Je n'avais pas froid aux yeux. Ni la peur ni l'ennui ne m'auraient fait descendre du train. J'ai parcouru des kilomètres sur les terres tendres de l'imprévu. On m'indiquait la droite et m'aventurais à gauche. Je regardais l'un et m'enlaçais à l'autre. Il n'y avait pas de jours. Il y avait mes désirs. Il n'y avait pas de murs tout carrés ni de zones industrielles retirées des mondes... Il y avait des vides à remplir qui me murmuraient à l'oreille : saute...

 

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22 septembre 2017

épisode 4

PARMI D'AUTRES

chapitre IV

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-Je souris, ébahi et naïf. Enfin. Assis à l'ombre des grands arbres. Debout à la lisière des bois. Allongé au milieu d'une clairière qui ondule mollement sous la houle de l'herbe. Endormi au bord d'un ruisseau aux bavardages incessants. Songeant, le regard mélangé aux reflets ondoyant à la surface sombre des étangs. Nageant dans la mer en battements réguliers, laissant loin de moi les limites de l'horizon. Les jours passent. Il n'y a plus de clefs, de programmes à décoder. Il y a juste à retrouver la confiance des premiers instincts.

J'ouvre des voies cachées dans les broussailles et trace de nouveaux chemins que j'emprunte et qui s'effacent. Je piétine les feuilles et les branches sèches, jetées par les arbres. Je surprends les oiseaux immobiles à l'abri dans les buissons. Les doigts, les griffes, les caresses, les griffures des feuilles, me signalent de taire mes pas. Elles me blessent, me piquent, me soignent, me brûlent, me calment, m'embrassent puis me libèrent.

Les jours et les nuits se succèdent et je découvre ce monde à l'intérieur de moi. Je n'emploierai plus de mots. Dans la demeure du Grand Vivant. Je suis celui qui ressent, celui qui perçoit. Ici je ne suis rien d'autre.

Le visible et l'invisible par des liens séculiers, avec force et certitude accordent tous, leur instrument organique et minéral. De cet ensemble ne se dégage aucune fausse note. Aucun privilège qu'on s'octroie au détriment d'un autre, aucun favoritisme ni honneur. Mes sens me soumettent aux lointaines lois. Je suis l'oiseau surpris par le bruit des pas. Je suis la branche qui se brise.

Le vent semble démêler indéfiniment l'écheveau verdoyant des grands arbres. Les ténèbres de la nuit et l'éclat souverain du jour orchestrent chaque mouvement, du minime au plus brutal. Des fougères endolories par la fraîcheur du matin, déploient délicatement leurs longues feuilles et tètent la lumière encore fragile du jour naissant. Des premières lueurs jaillit l'ordre de se mettre en mouvement. Les oiseaux alors entonnent tous leur chant dissonant. Une fièvre monte de la terre, irradie l'air et soudain un frémissement, un tressaillement, une convulsion, une agitation, un tremblement général, intiment l'ordre à chaque espèce de survivre.

C'est le matin. Je prends conscience que j'appartiens. À l'air, à la terre brune et grasse, à l'herbe, à la lumière et aux roches témoins silencieux du long passé. Je suis parmi d'autres, parmi la faune voltigeant, au milieu des minuscules hébergés sous les racines de la flore immense, avec les petits mammifères grimpant et grignotant, avec les fleurs, les arbres, les eaux sous mille formes... La nuit viendra. Mais ce jour agité de toutes parts, me tire sans manières de ma prostration. Inlassablement je m'éveille. Inlassablement je me pose et ressens. Chaque jour m'apporte son lot de victoires infimes. Je survis comme les autres.

Simple et cruelle. Digne et constante. C'est une existence où la résistance fusionne avec l'obéissance. La beauté et la mort, la vie et le pourrissement qui semblent s'enchevêtrer, tournoient dans le cycle perpétuel du Grand Vivant. Les êtres infimes, les êtres gigantesques, ceux qui se camouflent et ceux qui exposent leurs milles couleurs, ceux qui grimpent par la force de la lumière, ceux qui dévorent, ceux qui se ploient et ceux qui se dressent, tous se mettent en transe, n'implorant aucun dieu, mais respirant simplement. Et cette puissance insondable m'inspire par miracle confiance et tranquillité. Plaisirs endémiques.

Aujourd'hui je serai un animal libéré de sa cage, sur ses gardes, à l'affût, retrouvant ses marques, flairant, mitraillant du regard l'inconnu qui l'accueille sans cérémonie. Je ne penserai qu'à manger, en alerte, vigilant, je m'abreuverai, et finirai par m'alanguir à l'abri d'un amas de rochers. Je somnolerai peut-être. Songerai. Jouirai c'est certain de chaque instant. Endormi ou éveillé, je ferai remonter vers mon esprit toutes les choses ressenties, les sensations multiples et intenses. Mais ne distinguerai le passé du présent. Je suis enfin arrivé quelque part et ne goûterai jamais à l'amertume de la fin.

 

 

21 septembre 2017

épisode 3

PARMI D'AUTRES

chapitre III

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Des heures se sont écoulées. À l'écouter. Des années, des décennies employées à déporter l'histoire comme on déporte un peuple, à renverser les situations et pour finir ployer l'arbre de l'humanité. Celui qui écrit, exploite toutes les probabilités, extrapole et parvient au bout de son récit sans planter pour autant une fin définitive comme on dresse une croix de pierre au sommet d'une colline ou un drapeau sur un territoire tant convoité. Échapper à la fatalité. Nous savons tous ce qui nous attend à la fin de notre récit. Mais par des sauts dans le temps, des ponts à travers des espaces dont il connaît les plans, par des brèches qui s'ouvrent et des couloirs souterrains qui courent sous un labyrinthe complexe et inextricable, celui qui écrit s'extrait de la fatalité, la rend improbable, bâtit un empire sur une fable.

Pour commencer, il s'intéressa aux lecteurs de leur propre vie, aux crédules, aux arrogants, aux ignorants et aux puissants, à nous tous. La tâche fut longue mais aisée. Nous étions pour lui des effectifs, des éléments de statistiques qu'il rangea par catégorie, par famille, les personnages et le décor d'un roman d'anticipation. Cela semblait simple et possible. Réduit à l'échelle d'un pixel ancré dans des diagrammes complexes dont il pouvait régler le tracé à l'aide de consoles, relégué à des données biométriques notifiées dans le chœur du Gand Data, décomposé en gènes manipulables dans des laboratoires de recherche de firmes agro-alimentaires, chacun de nous, attribué d'une fonction type, assemblé en algorithmes, devenu des constantes organiques dans ses calculs abstraits, chacun de nous participait à la résolution du problème. Nous n'étions plus l'exception à la règle. Plus de condition humaine, plus de système pyramidal. Il avait rétabli l'équilibre. Les Hommes étaient connectés, inaliénables, comme les cellules d'un corps parfait. Amalgame, pâte malléable. Nous fournissions au monde une autre existence, un autre destin.

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Ne plus savoir ce qui nous attend. Vivre juste chaque instant comme un privilège, une récompense. Vivre sans la peur, ni le besoin de se regarder, de se mirer dans le reflet des autres, de se projeter, de se comparer, de relativiser.

Après avoir élevé son plan à l'échelle de son imagination aux dimensions infinies, redéfini la résolution à celle du globe, mis l'humanité à l'écart, invalidant ainsi l'impact de celle-là sur le monde, il était arrivé au bout de son exploit. Restait-il quelqu'un pour admirer son œuvre ? Il ne croyait plus en rien. Ni en son histoire, ni en cette fin. Il avait corrompu la logique qui menait inexorablement le monde à sa perte. Et maintenant c'est lui qui s'enlisait, s'embourbait, s'égarait. Puisqu'il avait été le rejeton de l'ancienne société et l'incubateur des nouvelles générations, il ne lui restait plus qu'à attendre, prostré dans l'immense vide de la perfection qu'il avait créée. Un tableau de maître rangé pour toujours dans les caves d'un célèbre musée. Il espérait maintenant le défaut, l'imperfection, son alter ego, celui ou celle qui aurait échappé au modèle. Un virus, une erreur système, une fêlure dans les programmes, un Bug dans les algorithmes, un renversement des probabilités.

Il n'avait plus de secrets à percer, ni de serrures à forcer...

Il était parvenu. Mais face à un dessin aussi lisse, une lecture du monde aussi simple, l'ennui finit par l'envahir. Il pouvait maintenant se sentir seul. Un sentiment que nul ne partageait. Comme un dieu pour qui tout est possible et à qui tout lui revient de droit, mais que nul ne vénère. Un génie visionnaire qui n'aurait eu le temps de parfaire son chef d'oeuvre et qui n'aurait jamais connu la gloire. Un fou dont l'esprit malade aurait inventé un monde qu'il aurait cru réel, mais qui tournait sans fin dans les méandres de son cerveau. Il était devenu le grain de sable dans un rouage en perpétuel mouvement. Alors il s'est mis à attendre. À croire en la providence. Une notion parmi tant d'autres qu'il avait effacée de nos esprits mais pas du sien. Le Crocheteur de serrures se tenait derrière la dernière porte qu'il tenait fermée. L'idée lui vint de fuguer, sauter par la fenêtre avec en tête l'adolescent qui commet des erreurs pour être libre.

 

29 août 2017

épisode 2

PARMI D'AUTRES

chapitre II

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Il ne me regardait pas. Ne m'ignorait pas pour autant, comme s'il voulait me donner une clef. Pour comprendre. Il s'était tourné vers les écrans éteints, fixant du regard leur surface sombre. Il semblait concentrer toutes ses forces comme pour percer un coffre. À l'intérieur son esprit devait recéler d'innombrables secrets, conservés entre les pages noircies de sa longue solitude. Resteraient-ils enfermés dans la pénombre de cette pièce ? J'étais là. Face à lui, comme ces écrans éteints. Attentive comme un point d'interrogation. La clef dans la serrure, je la tournais délicatement. Il ne lui restait plus qu'à extraire ces secrets du long silence de son cerveau.

-Après avoir ouvert tant de portes, décodé tant de systèmes, infecté tant de données à l'aide de mouchards élevés par mes soins, je pensais qu'aucune énigme ne me résisterait, qu'aucune branche ne m'échapperait. Me balançant d'un arbre à un autre dans cette forêt gouvernée par l'illusion.

Lui aussi était tombé. Lui aussi avait connu la certitude, construit sa vie sur un choix et avait fini par remettre sa place en question. La raison était-elle sur le point de le quitter ? Mon cerveau n'était plus qu'un gros chewing-gum difforme et sans goût. Ma mâchoire grinçait sous la pression des dents. Je mastiquais sans cesse mes pensées. Aucune phrase cohérente ne parvenait à sortir de ma bouche et je percevais souvent l'ahurissement de mes interlocuteurs. Il fallait dorénavant me taire. Imaginer mes pensées éclater comme des bulles, se coller à l'air et prendre la forme de rêves.

-j'exerçais mes talents sans relâche. Manœuvrant laborieusement dans les coulisses où se préparaient en toute discrétion, les actes décisifs du grand spectacle du monde. J'ai dû franchir le cap du non retour. En démontant des programmes cryptiques d'une complexité digne d'un esprit irrationnel, j'avais gagné l'admiration de mes pairs. Je n'avais plus de limites. Les programmes forgés sur une logique de marchés et les configurations monolithiques, censés figer l'ordre et assurer la conservation des régimes, se détricotaient sous mes doigts agiles. Je reçus enfin le titre honorifique de Crocheteur de serrures. Tributaire de cette fonction et de cette identité, le doute se glissa en moi. Je ne me sentais pas investi d'une mission mais plutôt d'un pouvoir immense. Je pris conscience du potentiel qui s'offrait à moi. M'approprier la liberté absolue. Comme on s'approprie une terre, un peuple... De la folie !

On aimerait refaire le monde comme on refait sa vie. Il m'enveloppa d'un long silence. Cherchait à percevoir ma réaction. Je ne comprenais pas. Il parlait une autre langue. Venait d'un autre monde. Vivait à une autre époque. Mais il semblait esquisser une vérité. Un truc énorme qui pourrait me concerner. Je n'arrivais pas à le voir. La réalité, les faits, les confidences, les délires... Tout s'entrechoquait. J'étais troublée. Fascinée aussi.

-Pour ma protection et celle de mon ordre, tous les fichiers et les traces correspondant à mon existence sociale furent effacés. De multiples doublures véloces et virtuelles assuraient ma sécurité. Elles me précédaient, me succédaient, me cachaient dans leur ombre. Elles gommaient les indices, contrefaçonnaient des empreintes, déguisaient mes actes. Elles me couvraient, me libéraient de mon statut contraignant de simple citoyen. En s'incarnant dans le réel, elles avaient pris ma place et je pouvais disparaitre de la réalité matérielle. J'étais devenu un fantôme circulant à ma guise dans tous les flux irriguant le monde. On expliquait mes opérations et leurs effets produits par des manifestations surnaturelles. Tout s'enrobait d'un grand mystère. Des théories de complots inondaient les réseaux. Des plus sceptiques aux plus crédules on se disputait les conjectures. Les superstitieux et les sagaces se rejoignaient dans la perplexité. Je ne prétendais pas changer le monde, sa marche était bien trop enchaînée à son histoire. Je jouais juste avec son illusion. J'avais décroché tous les cadres de tous les murs. Refermé tous les albums de famille. Je n'étais pas un apatride, ne réclamais pas de nouveaux papiers d'identité et ne me sentais pas non plus comme un réfugié clandestin, un exilé, déraciné et nostalgique, n'agissant que par réflexes de survie. J'étais plutôt un naufragé sur une île inhabitée, sauvage, à la végétation luxuriante et généreuse qui assurait largement mes besoins. Un espace vierge à l'architecture modulable à volonté. Je regardais l'horizon au loin désert et tel un ermite visité par un esprit saint, penché sur l'étude d'écritures sacrées, j'imaginais des mondes, j'élevais des cités, ouvrais des voies... Le privilège du recul, de la distance m'offrait un point de vue inédit qui se déployait et se renouvelait sans fin. J'agissais à ma guise, influais sur les courbes, allais au cœur des mécanismes... J'aurais pu arrêter le temps, le répéter même. Je possédais d'innombrables clefs. Allais-je ouvrir toutes les portes et laisser l'air courir, grossir, emporter le monde dans sa furie et permettre au vide et à l'ignorance de le succéder ?

Il n'est pas nécessaire de se déplacer pour voyager. Il n'est pas nécessaire de trôner en haut d'une tribune pour gouverner. Il n'est pas nécessaire d'être savant pour comprendre. Est-il nécessaire d'être seul pour être libre ? Trop de solitude peut faire plier la raison. Et la liberté coupée du monde peut la rendre illusoire. Quand on regarde le monde de loin, nos pensées s'érigent en monuments. On désire tout au fond de soi transformer les choses, les rendre meilleures, plus justes. Qu'importe les événements et leurs conséquences, qu'importe les faits incontestables, qu'importe les constats même alarmants, on s'accroche à sa propre perception du monde, à l'idée qu'on s'en fait. De la réalité à l'illusion, le pas a été franchi. Du fond d'une cellule, sans toit, sans portes et sans murs, le Crocheteur de serrures avait semé sur les terres surpeuplées de l'illusion, de petites graines artificielles, comme on introduit un nuisible, une espèce parasitaire dans un écosystème en parfait équilibre.

13 août 2017

épisode 1

PARMI D'AUTRES

chapitre I

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"La coutume sauvage de la mutilation a son prolongement tragique dans le renoncement personnel qui désenchante notre vie" Oscar Wilde

L'enseigne toute raturée, tremblotante balançait sur le sol des ombres et des reflets flétris. La potence qui la brandissait au dessus du sol, menaçait de s'arracher comme un bras mort, du corps en béton gris sale, immense et inflexible, indifférent à son sort.Je me tenais à quelques pas de là. Le regard perdu vers sa chute imminente.Je me disais à cet instant, très fort en moi. Qu'elle tombe maintenant, devant moi et je pourrais enfin croire en quelque chose.

Le vent jouait doucement avec les dernières lueurs du jour. Tout se posait autour de moi paisiblement, alors qu'une bouffée glaciale et chargée de grêle renversait mon esprit. Cela faisait quelques jours que je ne m'étais pas nourrie. Et ne trouvant dans ma déroute ni sommeil ni refuge.

Je ne sais combien de kilomètres me séparaient de ma maison, ni combien de jours, ni même où se trouvait ma maison. Des enjambées de jours, des empilements de pas.

Je passais au coin de l'édifice, fixant du coin de l'oeil l'enseigne moribonde. Contournant le bâtiment, je jetais un regard alentour sur la zone industrielle étalée sans grâce sur le vide gris. J'avais avancé vers le nord. Le printemps. Les dernières neiges boueuses. Des voitures qui me jetèrent sur le bas côté. Un bateau aussi dans lequel j'ai pu trouver un coin où me caler, bercée par le roulement maternel de la mer. Plus tard en m'enfonçant dans les terres, les poubelles devenaient creuses, mais dans les fossés il restait encore de quoi survivre.

Combien de fois le monde s'est-il effondré autour de moi ?

-SAUTE !!!

Un hurlement brutal. Une voix autoritaire, un ordre sans appel. Une voix tyrannique qui me soumettait à son caprice. Elle n'émanait pas d'un écho presque éteint. Provenant du tréfonds de l'univers, elle conservait la puissance de son timbre. Un son-lumière morte il y a des millénaires. Mais éblouissant encore nos yeux, me forçant à tenir mes mains sur mes oreilles. Le cri d'un fou. Oppressant, prenant en otage mon passé, foudroyant mon présent, volant en éclat mon avenir... La voix me privait du souffle. Mon pouls après s'être emballé, s'éteignait sans résistance. Je fermais les yeux. Privée de conscience, j'allais obéir au grand dessein. Et puis...

-Saute...

Un murmure, tiède, humide dans le creux de mon oreille. Une confidence. Un demi-mot. Une prière qui ressemble à la flamme d'un cierge. Une supplique si frêle. Je tendais l'oreille, cherchant à accrocher ce mot, à m'approprier son sens. Rassurée je me laissais pénétrer par la douceur et la grâce du son. Tout va bien. Tout va bien se passer. N'aie pas peur.

Je sautai. N'obéissant à rien.

J'ai trouvé une falaise, un gouffre, une grue de chantier, un plongeoir olympique au dessus d'une piscine qu'on aurait vidée, une plateforme juchée sur un canyon, une chute du Niagara, le toit d'un immeuble le lendemain d'un crack boursier... Il est facile de monter au sommet sans autre ambition que de vouloir sauter. Je n'avais que l'embarras du choix. Et puis je l'ai vu. Il était assez haut, assez profond... Là, il m'observait déjà de loin, mesurant à ma silhouette courbée, à mes vêtements souillés, à mes cheveux sans soin, à ma démarche égarée, l'immense abattement qui me précédait. Il descendit l'escalier en métal, un trousseau de clefs cliquetant, pendu à sa ceinture. Il s'avança vers moi, le faisceau de sa lampe me stoppa nette. Il abaissa sa torche, me fit signe et je le suivis. La porte qui s'ouvrit en haut des escaliers laissait apparaître un paysage de béton, d'acier, de poutres gigantesques, de piliers au garde à vous, alignés comme une forêt récente. Une structure vidée de sa substance. Il éteignit la salle géante et me fit déambuler le long du fil de sa torche qui rasait le sol, jusqu'à l'entrée d'une pièce minuscule, sans fenêtre, le plafond bas, un Lino usé. Des écrans d'ordinateur éteints renvoyaient de moi, de la salle des reflets sombres et pénibles. Enfermée dans cette pièce, je me sentais prisonnière de ces reflets, comme aplatie dans un vieil album de photos. Il me présenta une chaise et me fit signe de manger. Mes yeux et ma bouche avalèrent le contenu de l'assiette et du verre. Mes tremblements finirent par disparaître. Le remerciai par un sourire à peine marqué, triste, sans effort, sans volonté aucune de séduire.

-Vous me rappelez une époque.

Je ne trouvais rien à dire. Avais perdu le réflexe de l'échange. Le fixant juste du regard. J'avais l'image effrayante de moi, d'une sauvage aux pulsions primitives... Il paraissait âgé, ressemblait à cette pièce éteinte, mais le timbre de sa voix trahissait un esprit vif. Un détails pouvait provoquer chez lui une étincelle, ranimer une brillance. M'invitait-il à parler ou désirait-il se confier ? J'essayais malgré l'épuisement, de prendre l'attitude d'une interlocutrice attentive. J'avais envie d'entendre l'histoire, de me jeter dans un passé. Il ne pouvait parler que de son passé ou celui d'un autre. Le présent semblait endormi. Le présent semblait le tenir à l'écart des autres. Il leva les yeux vers un coin du plafond, éteignant toutes les lumières de cet instant, parcourant longuement sa mémoire à la recherche d'un début.

Je me disais très fort en moi. Qu'il tombe ce silence, maintenant, devant moi et je pourrais enfin croire en quelque chose.

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7 août 2017

Les pensées, 1670

"LE PLUS SOUVENT ON NE VEUT SAVOIR QUE POUR EN PARLER, AUTREMENT ON NE VOYAGERAIT PAS SUR LA MER POUR NE JAMAIS EN RIEN DIRE ET POUR LE SEUL PLAISIR DE VOIR, SANS ESPERANCE D'EN JAMAIS COMMUNIQUER." Blaise Pascal.

3 août 2017

DERNIER TABLEAU

tableau XXI

L'enfance des états d'âme XXI

1 août 2017

TABLEAU XX

tableau XX

L'enfance des états d'âme XX/XXI

1 août 2017

TABLEAU XIX

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L'enfance des états d'âme XIX/XXI

1 août 2017

TABLEAU XVIII

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L'enfance des états d'âme XVIII/XXI

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