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NotyBook
19 juin 2017

photomaton de mon père

papa 011

 

Photomaton de mon père. En arrière plan ma mère et moi.

Il n'a pas connu FaceBook, ni le téléphone portable, ni l'ordinateur, ni les OGM, ni les euros, ni la carte vitale, ni le TGV, ni la reconnaissance faciale, ni le câble, ni les ampoules basse consommation, ni le fichage ADN, ni le four micro-ondes, ni le Drive, ni la nano technologie... ni les RTT et même pas la retraite, juste les congés payés et la TV avec ses trois chaînes, quand elle est passée à la couleur, le téléphone filaire tout gris avec le cadran à trous et le Minitel quand même.

C'est en le regardant que j'ai découvert le goût d'écrire. Des poèmes à la con sur sa vie d'ouvrier des faubourgs de Paris. Il parlait l'argot comme d'autres parlent le breton.

On allait chiner aux puces ou dans les décharges publiques, ces petits monticules de déchets ménagers qu'on pouvait voir à la lisière des bois ou sur le bord des chemins. On dénichait de vrais trésors. On se salissait les mains, mais ça en valait la peine.

C'est en le regardant que j'ai appris à réparer ou à transformer les objets qu'on récupérait, à leur donner une seconde vie. Juste en étant à côté de lui. Il me tolérait, silencieux, concentré sur sa tâche. Il fallait se taire. Je vivais parmi ça.

Il ne savait pas qu'il m'apprenait. Je ne pouvais pas le remercier. Je ne savais pas que j'apprenais.

Il me reste de lui peu de mots d'argot mais le goût des mots trafiqués, son vieux portefeuille en cuir brun, le cambouis sur les mains et un penchant certain pour l'imaginaire. Voir à travers les choses. Déceler derrière la façade grise de la réalité une cour intérieure pleine de contrastes. Débarrasser les choses de leur épaisse crasse, en révéler la beauté. Ci tôt qu'elle est réelle et évidente, avoir la sensation qu'elle nous appartient.

Un besogneux courbé sur sa machine.

Derrière l'air sombre du quotidien, se cachait pas loin sa vraie nature. Les rares occasions où je percevais le bonhomme c'est quand il fouinait avec sa tige en métal, les déchets multiformes ou quand il expérimentait un véhicule improbable bricolé avec des bouts de ferrailles. Je retrouvais le gamin des rues, avec ses manières de manouche, son sourire narquois, le filou au regard malin, aux gestes habiles. Il semblait libre, débarrassé de ses tourments de chef de famille.

Persuadée que mes parents ne m'avaient rien appris, rien donné, rien transmis, je me comparais à ceux de mon âge. Je voyais bien que leurs parents étaient des modèles pour eux. Moi, je trouvais que les miens n'avaient rien à m'offrir et qu'ils étaient vieux et démodés.

Juste un toit, à manger, des vêtements propres et les manières de base. Je créais le reste, ce que je n'avais pas, ce qu'y manquait.

Ils ne parlaient pas d'amour. Ces mots qui relient, caressent et remplissent. On se retourne vers l'autre, on le regarde dans les yeux, on lui tient la main, on sourit.... Et les mots viennent. Ces gestes ne venaient pas.

Ils ont dû m'aimer. Par devoir. Je faisais partie de la famille cela suffisait. Je portais leur nom cela suffisait.

Quand ils me tenaient par la main dehors, je pensais alors qu'ils m'aimaient. Je crois qu'ils craignaient juste que je m'échappe.

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